Accord

Quelques notions sur l'accord du clavecin et la manière de réaliser les tempéramentsKirnberger III, Mésotonique, Marpourg, Werckmeister III.


Tempérament de Jean Denis avec son "Prélude pour sonder si l'accord est bon partout"



accord du clavecin tempéraments anciens
Le problème de l' accord et ses conséquences sur le répertoire

Le principe de départ est de s'appuyer sur le spectre harmonique, phénomène naturel, pour fixer la hauteur des différentes notes.

Si par exemple on part du do, on règlera le sol à la hauteur exacte du [sol] présent dans les harmoniques du do

Ce sol étant fixé, on procèdera de même pour régler la hauteur du (harmonique du sol), et ainsi de suite.

Dans le shéma ci-dessous, la note de départ est le fa :

Le problème est que le mi# d'arrivée ne correspond pas au fa de départ : il est trop haut d'un "coma pythagoricien".

Aujourd'hui, mi# et fa ne sont qu'une seule et même touche sur le clavier d'un piano : le coma est réparti sur les douze quintes du cycle, toutes légèrement trop petites : c'est le "tempérament égal".

Au Moyen-Age, période particulièrement mystique, pas question de bidouiller ainsi la hauteur des notes. Les sons harmoniques sont un phénomène naturel, perçu comme l'oeuvre de Dieu.

D'où le choix de sélectionner une série de notes, sans chercher à fermer la boucle :

Ces six notes : do (ou ut), , mi, fa, sol, la, forment l'échelle dans laquelle navigue la mélodie. 

L'hymne à St Jean est célèbre parce que le nom des notes en a été tiré (comme le si n'est pas encore utilisé, on lui inventera un nom plus tard, en utilisant les initiales S.I. de Sancte Ioannes) :

Ce système d'accord, fidèle au spectre harmonique, convient parfaitement à la monodie grégorienne pensée comme un dialogue avec la résonnance, dans une perspective mystique.

Tout naturellement, des femmes ou des enfants chanteront à l'octave des voix masculines. Cela revient à souligner le premier harmonique de chaque note, l'octave.

D'où l'idée de faire chanter une seconde voix non plus à l'octave, mais à la quinte, matérialisant ainsi le deuxième harmonique (la quinte).

A partir de là, cette seconde voix va peu à peu s'affranchir du parallèlisme avec la première, et prendre son indépendance. C'est ce qui donnera naissance au contrepoint où plusieurs voix suivent chacune sa propre ligne.


On en arrive alors à s'intéresser à l'écoute "verticale" des sons produits ensemble, ce qui remet en question le système d'accord.

Le mi chanté sur un do doit-il resté fixé d'après la succession de quintes pures (do-sol, sol-ré, ré-la, la-mi) ? Ne doit-il pas plutôt être réglé sur le [mi] harmonique du do ?

Car ces deux manières de l'obtenir ne correspondent pas à la même hauteur : le [mi] harmonique du do est trop bas (d'un coma syntonique) par rapport au mi tel qu'on le fixait jusqu'alors.


A partir du XVIème siècle, on décide de privilégier la tierce (mi fixé comme tierce pure du do, et non plus comme quinte pure du la). 

D'où un système appelé "mésotonique" :

  • en partant d'un la pris au diapason, on fixe le fa comme tierce pure. 
  • on se base alors sur une succession de quintes, du fa au la (fa-do, do-sol, sol-ré, ré-la), mais le do, le sol et le sont réglés plus bas que ce qu'indiquent les sons harmoniques.
  • les notes qui restent à accorder sont toutes des tierces pures.

Par rapport au tempérament égal d'un piano actuel, le mésotonique donne des tierces majeures nettement plus petites.

On peut ici écouter un enchainement de quatre accords, joués au tempérament égal puis en mésotonique. L'avant-dernier accord, puis le dernier, sont ensuite rejoués tour à tour, au tempérament égal puis en mésotonique :

écouter



Le Mésotonique est utilisé jusqu'à la fin du XVIIème siècle, voire au début du XVIIIème. Tel quel, il ne permet pas de jouer dans toutes les tonalités : celle de fa mineur par exemple, repose sur la tierce mineure fa-la bémol, or la touche "la bémol" du clavecin est accordée en sol# (tierce pure du mi) ce qui donne un résultat très discordant. A moins qu'on réaccorde ce sol# en la bémol (tierce pure du do)...

En revanche les tonalités disponibles ont chacune une couleur particulière, ce qui n'est pas le cas avec le tempérament égal où une gamme de do Majeur fait très exactement entendre la même échelle de sons qu'une gamme de Sol, de Fa# ou de Mi bémol Majeur...


Ce choix du tempérament mésotonique explique donc pourquoi on n'utilisait qu'une quantité limitée de tonalités, et pourquoi l'on composait des "suites" de pièces dans la même tonalité. Il explique également l'habitude de terminer par un accord majeur les morceaux composés dans une tonalité mineure ("tierce picarde") : en ré mineur par exemple, la tierce mineure ré-fa n'est pas parfaite tandis que la tierce majeure ré-fa#, accoustiquement pure, donne une impression de calme.


Au fil du XVIIIème siècle on va progressivement réduire le nombre d'intervalles purs, pour augmenter le choix des tonalités possibles. Le système employé par J.S. Bach n'est plus très loin du tempérament égal, lorqu'il compose le Clavier Bien Tempéré ("Das Wohltemperirte Clavier") où toutes les tonalités sont explorées sans exception.